A Beauvais, des jeunes déscolarisés peuvent bénéficier d’un accompagnement personnalisé. Un dispositif unique dans le département de l’Oise.
Par Juliette Duclos
Le 16 octobre 2020
Dans la petite salle de classe improvisée dans les locaux de l’association PEP Grand Oise, à Beauvais, trois élèves travaillent. «Ton montage est pas mal, il faut bien que tu plantes ta led», souffle le professeur de technologie à un adolescent. Ce dernier s’active ensuite sur son ordinateur pour tenter de faire clignoter les petites lumières.
Au programme aujourd’hui : apprendre à programmer un microcontrôleur. «Il faut qu’il y ait au moins une résistance pour protéger le système», rappelle l’enseignant. De l’extérieur, cette séance pourrait sembler banale, sauf que ces trois jeunes sont déscolarisés. Certains depuis quelques mois, d’autres depuis des années.
Grâce au dispositif Amae, dédié à ces adolescents en situation de rupture scolaire et sociale, Iris, Mathis et Clara ( NDLR : les prénoms ont été modifiés ) reprennent doucement pied. «Ce sont souvent des jeunes brillants, mais qui sont en décrochage pour des raisons particulières, parce qu’ils ont vécu du harcèlement ou développé une phobie scolaire», précise Fabrice Degournay, responsable du dispositif qui aide six adolescents actuellement.
Un «blocage» du jour au lendemain
Alors, du mardi au vendredi, chaque matin, ils apprennent l’histoire ou le français, rattrapent leur retard en mathématiques ou manient des logiciels en cours de techno. Des sessions de huit semaines, dans lesquelles un suivi psychologique est également assuré.
Ce matin-là, Kaline est arrivée en retard. Cela fait trois semaines qu’elle participe à cette session, mais il y a encore des jours où elle n’arrive pas à franchir le pas de sa porte pour aller à ces cours. Un sweat à capuche blanc, des cheveux bouclés attachés en queue-de-cheval et un portable à la main, la jeune fille ressemble à une adolescente comme toutes les autres. «Avant, je sortais beaucoup, confie-t-elle, d’une voix timide. Mais en cinquième, cela a commencé à être difficile. Encore un peu plus en quatrième. Et en troisième, fini.»
Impossible pour elle de passer l’enceinte de son collège. Le «blocage» est venu «du jour au lendemain», sans qu’elle ne sache très bien comment l’expliquer. «Je n’arrive pas en parler. Même ici, c’est dur de le faire. Mais il faut qu’on vive avec.» Désormais, Kaline se surprend à espérer. «Je suis en seconde maintenant et j’ai envie de retourner au lycée, sinon, je vais faire quoi plus tard ?»
Mis en place il y a seulement un an, ce dispositif Amae est unique dans l’Oise. «On avait de plus en plus de sollicitations pour de jeunes déscolarisés avec des difficultés d’ordres psychologiques, mais rien n’était mis en place pour eux», relate Céline David-Gallois, directrice du pôle prévention santé de l’association.
Votre adresse mail est collectée par Le Parisien pour vous permettre de recevoir nos actualités et offres commerciales. En savoir plus
Depuis sa création, la demande est forte, preuve d’un vrai besoin dans le département, soutient-elle : «Ce sont des jeunes qui ne font pas de bruit, qui restent enfermés chez eux, donc il n’y a pas de véritables alertes. Et comme ils ne sont pas en difficultés scolaires, on fait abstraction de tout le reste.»
Autour de la table, Iris raconte son envie d’aller au lycée, «dans une filière d’art appliqué». Actuellement en troisième, voilà plus de deux ans qu’elle suit les cours à distance, grâce au Cned. «Je sais qu’il y a quelques mois, je n’aurais pas pu venir ici, mais je commence à aller mieux, j’ai envie de m’en sortir. » Son rêve? Devenir costumière. Ou peut-être professeure d’arts plastiques, «mais à l’étranger».
Rassurer les jeunes
Au sein du dispositif, les élèves reprennent confiance. «Le pire quand j’étais au collège, c’était les vannes, pointe Iris. Ici, c’est vachement rassurant, on ne se sent pas jugé.»
Assise à côté d’elle, Karine acquiesce. «Moi, le pire, c’était le fait d’aller en récréation, de devoir être toute seule. J’étais obligée de me réfugier à la vie scolaire. Les autres ne comprennent pas.»
«Ce ne sont pas les apprentissages qui posent problème, ce sont les relations sociales, insiste Isabelle Alves Dos Santos, éducatrice. Nous, on essaye de délier ça, de chercher les personnes-ressources, d’aller voir les enseignants pour mettre en place des stratégies pour rassurer le jeune.»
«C’est une étape»
Et de lui permettre de retourner vers l’école, même en pointillé. C’est le cas de Clara, qui assiste à une heure de cours, celle de musique, sa matière préférée, au sein de son établissement, situé au nord de Beauvais. «C’est bon, j’y arrive», avance du bout des lèvres cette jeune fille, qui a arrêté le collège deux jours après sa rentrée en cinquième.
Une reprise timide, au grand soulagement de ses parents. «Pour nous, cela a été salvateur. Cela n’enlève pas tout le problème et c’est une étape, mais c’est un début», assure son père. Face à la phobie scolaire de sa fille, il explique s’être senti «un peu tout seul, un peu perdu». «La plupart des gens pensent que c’est un caprice, alors on se remet en question, on essaye d’être plus ceci, moins cela. Mais on se rend compte que ça ne change pas grand-chose.»